Histoire de l'assurance, époque moderne - 3/4

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Publié le: 01-02-2023

A partir de la Restauration de 1815, l'assurance connaîtra une une expansion extraordinaire dans tous les pays européens, leurs colonies, et aux Etats-Unis.

Les premières sociétés françaises délivreront des garanties incendie, de grêle ou de pertes de récoltes mais aussi d'accidents dès 1830, puis de caution, de prévoyance, de vie....

Elles correspondaient à un besoin même si à cette époque on considérait encore l'incendie d'un bâtiment comme un crime passible de la peine de mort (code pénal français). Couvrir l'incendie, c'était un peu aller dans le sens des criminels selon la sensibilité de l'époque.


La 1ère compagnie accidents française identifiée semble être "l'Automédon" qui offrait une garantie pour les accidents créés par les voitures à cheval. Elle remboursait une partie de l'indemnité versée par le propriétaire de la voiture aux personnes blessées. Au démarrage, pas de garantie pour les dommages subis par la voiture, ses passagers, son conducteur et les marchandises. A noter qu'à l'époque, la police garantissait des cochers et donc les femmes conductrices de voitures n'étaient pas garanties.


Le principe de l'assurance de responsabilité civile, sera créé en France en 1844 avec la jurisprudence de l'Automédon : suite à un accident de voiture à cheval qui transformera cette assurance accident en une protection des consommateurs de l'assuré. La société de voiture était garantie en cas d'accident, sans notion de responsabilité mais avec des conditions strictes d'indemnisation.

A l'occasion de ce procès, le contrat accident de la compagnie L'Automédon fût d'abord considéré comme nul par le tribunal comme contraire aux lois et mœurs car couvrir l'accident c'était couvrir une faute du conducteur de calèche, puis trouva sa place pour couvrir la responsabilité du voiturier au terme d'un appel ayant fait appel aux meilleurs juristes de l'époque. L'Automédon voyant son activité bientôt détruite par le jugement d'instance, indépendamment du sort du sinistre, décida d'aller en appel pour faire valoir que le principe de son contrat était licite.

La notion d'assurance de responsabilité a pu être "découverte" en faisant référence aux usages du contrat d'assurance maritime et plus spécialement de la baraterie - faute du capitaine le poussant à provoquer la perte du navire et de sa cargaison - et de la garantie des risques locatifs, ainsi que d'une ordonnance de police de la Seine (Paris) qui demandait aux cochers de mettre à part un pécule pour payer les amendes et les indemnités aux tiers (vers 1826). On considérait alors que l'on ne pouvait pas assurer les conséquences de la faute dans le cas d'un accident commis par le cocher. L'argumentation déployée par les meilleurs juristes de l'époque a permis au Tribunal de conclure que cette vision de l'assurance n'était pas illégale comme d'abord jugée puisque même le Préfet de Police de la Seine demandait la création d'un pécule à cet fin et que des contrats existaient depuis des siècles pour couvrir des pans de la responsabilité civile. C'est le début de la construction de la branche de la responsabilité civile à partir de la notion d'accident.

Le contrat maritime couvrait la baraterie car c'était un risque connu des armateurs/commerçants/assureurs du Moyen-Age, intégré dans les règles maritimes tels les rôles d'Oléron. Les contrats incendie ont été généralisés à partir du modèle du Lloyd's qui n'ont jamais exclu les risques locatifs. Par contre, l'indemnisation des risques locatifs a été créée suite à sinistre et après passage au Tribunal car l'assuré locataire empochait l'indemnité et laissait le propriétaire avec les ruines. Ce qui explique que ces risques de responsabilités étaient assurés alors qu'ils auraient du être jugés immoraux selon les us de l'époque.

Le 19ème siècle connaitra en France trois marchés d'assurance :

  • les sociétés anonymes à primes fixes, fortement capitalisées, prospères et trsès bien implantées. Elles cont contrôlées par des financiers.
  • des grandes mutuelles à cotisations variables, avec éventuellement des rappels de primes car elles n'avaient pas le droit d'avoir de réserves durant la première moitié du 19ème siècle. Ces mutuelles étaient présentes sur de grands territoires et évolueront encore davantage après que la possibilité de créer des réserves leur soit donnée. Elles cont contrôlées par des notables
  • des petites mutuelles ou associations mutualistes locales, comptant quelques centaines de membres, parfois moins, réparties sur tout le territoire et dont le but était de donner des garanties à une clientèle locale : incendie dans un village, mortalité du bétail, soutien de crédit... Elles epuvent être adossées à un coopérative agricole, une laiterie. Les grandes mutuelles et compagnies anoymes leur reproche une "concurrence déloyale".car occupant une place de marché importante. Ces mutuelles seront plus tard agglomérées dans la Mutualité agricole.

Le tout dans un extraordinaire environnement de création, de faillites....

En parallèle à cette organisation, il faut aussi retenir que les assureurs ont d'abord accordé des contrats limités qu'ils ont progressivement élargi en tenant compte de l'avancée de l'économie, de leurs résultats, de la jurisprudence. Par exemple, au début du 19ème :

  • on assurait en incendie d'abord des habitations sans les meubles, puis des petits atliers sans les marchandises ni les machines, puis ensuite quelques usines. On a créé des garanties sur les meubles (les mutuelles ne pouvaient pas assurer les meubles lorsque les sociétés anonymes ont commencé à le faire), puis sur les marchandises et les machines des usines.
  • on n'assurait pas les dégâts des eaux, ni le vol au début du 19ème. On commençait à trouver des contrats dégât des eaux et vol en fin 19ème accompagnant les garanties bris de glaces
  • On trouvera toujours les garanties de service militaire, des garanties de faillite ou de fraude (avec plus ou moins de bonheur)
  • on assurait les accidents au début du 19ème, puis après la jurisprudence de l'Automédon on a commencé à assurer la responsabilité civile des voitures puis des autos et des vélos.
  • on assurait la responsabilité locative et le recours des voisins dans un contrat incendie parce qu'on le faisait au 18ème dans plusieurs pays, et aussi parce que les propriétaires de biens souhaitant que leurs locataires soient assurés, avaient créé ainsi le marché nécessaire
  • On créera en fin du 19ème, la responsabilité civile incendie des usines de gaz, la rresponsabilité incendie explosion des chaudières. La responsabilité civile exploitation (limitée à la couverture des accidents des employés) était une annexe du contrat prévoyance. Elle sera étendue à la responsabilité des accidents causés aux tiers, notamment du fait des chantiers en fin de siècle
  • La responsabilité civile des pharmaciens, sera la première forme de responsabilité civile professionnelle ou du fait des produits. (en fin 19ème). Elle sera suivie de la responsabilité des architectes
  • On inventera la réassurance entre assureurs suite à des grands incendies urbains en Allemagne : ce sera une contribution supplémentaire de la Feuer Kasse Hamburg au monde de l'assurance.(la réassurance existait auparavant mais pas à l'échelle de sociétés et sur des portefeuilles entiers. C'était auparavant une réassurance par contrat maritime).


Le contrat de responsabilité civile de l'entreprise sera progressivement élargi et détaché de l'assurance collective prévoyance.  

On utilise en France, au 19ème siècle, les manuels d'assurance écrits en Angleterre pour développer cette activité tant en incendie qu'en assurance-vie. Et on en développe de nouveaux adaptés au droit français. On trouvera bientôt des tarifs départementaux d'incendie donnant les cotisations permettant d'assurer une grange, une ferme, etc...

Les premières garanties de pertes d'exploitation seront créées aux USA à la fin du 19ème en étendant les garanties de pertes de loyers suite à la destruction d'un immeuble, elles sont vendues sous la forme gross earnings.

Les garanties pertes d'exploitation européennes seront créées au 20ème siècle par un comptable écossais, sous la forme que nous connaissons en France de perte de marge brute ou gross profit. Il semble qu'il y ait eu des tentatives au Moyen-Âge pour garantir les profits sur expédition maritime mais vite arrêtés pour des raisons de très mauvais résultats. Les contraintes sociales de cette époque n'étaient pas prêtes, elles sont adéquates à la fin du 19ème siècle : intégration de règles sociales restreignant l'intérêt personnel et le fait de commettre un acte criminel pour en profiter, corpus de droit sanctionnant certaines conduites.. En France, les premières tentatives de couverture des pertes d'exploitation se font au travers de la création de compagnie d'assurance-chômage qui délivrent des garanties de pertes indirectes sur les marchandises (après 1860). Ces garanties de chômage étaient prohibées par les tribunaux auparavant.(que ce soit la perte de loyer, la perte d'exploitation ou le chômage des ouvriers).

Les garanties bris de machines seront créées en Allemagne au début du 20ème siècle. Elles font suite aux garanties d'explosions des chaudières. Les premières garanties d'assurance responsabilité civile construction datent des années 1890 en France.

Il y avait jusqu'au début du 20ème siècle des garanties d'assurance sur les pertes de meules de foin en plein champ, des garanties sur les vers à soie, une tentative de garantie contre le Phylloxéra, des garanties sur les échafaudages qui tombent, les accidents de train, des projets d'assurances sociales, des projets de garanties obligatoires... une caricature de Daumier Le Gobe-Mouches exprime cet engouement extraordinaire ainsi que les multiples dérives qui existaient.

Les garanties d'entreprises connaîtront un essor rapide à la fin du 19ème siècle, soit par des offres développées par des sociétés d'assurances incendie ou par création de mutuelles professionnelles. Les compagnies d'assurances d'alors pouvaient être spécialisées sur un marché de niche très étroit.

Les contrats d'assurance incendie étaient alors souscrits pour des périodes décennales, usage qui n'a cessé que dans les années 1970.

Le "Far-West" assurantiel de cette période a été encadré en France par la loi de 1936, qui a rétabli les relations entre assurés et assureurs sur un pied plus égal. Aujourd'hui l'assurance est l'un des secteur économique où la notion de protection des consommateurs est très forte, avec une forte vigilance des autorités.

Les 18ème et 19ème siècles ont vu un besoin constant d'assurances, entre autre aux USA. Pour y répondre sans s'implanter dans les "colonies", les assureurs anglais font établir des cadastres des principales villes américaines avec localisation des bâtiments, pour souscrire depuis Londres des contrats garantissant des biens à Boston, à Charleston... des formes similaires de cartographie d'assurance existaient entre la France et ses colonies. On trouve facilement des cartes d'assurances sur des régions d'Afrique du Nord.

Le 19ème siècle verra aussi les premières réflexions sur les assurances de risques naturels, elles resteront souvent dans les cartons. Mais au 18ème il était déjà possible de s'assurer contre les tirages de loterie infructueux... au 19ème on pouvait s'assurer contre un tirage au sort pour aller au service militaire, durée 7 ans à cette période - en versant un pécule à un volontaire qui remplaçait le tiré au sort (méthode couramment utilisée par les jeunes gens venant de familles aisées, légale depuis 1818 jusqu'en 1902, date de l'abrogation de la possibilité du remplacement).

Les assurances "fidelity" très développées dans les pays anglo-saxons pour se prémunir contre les détournements en entreprise ont été créées à cette époque.

Les premières tentatives d'assurances sur la vie remontent au Moyen-Âge, si l'on exclut les notions indirectes rapportées sur les sociétés funéraires romaines, mais se terminent rapidement par une proscription dans les territoires hors Pays-Bas. On peut supposer qu'elle a, à la fois une composante religieuse mais aussi une composante sociétale : les meurtres sont fréquents même entre proches et l'existence d'un contrat d'assurances est alors une incitation au crime. 

Au début du 18ème siècle en Angleterre, sous Elizabeth I, il y aura un procès entre un boulanger et des assureurs. Il avait souscrit un contrat d'assurance sur la vie de sa femme et l'avait tuée quinze jours après. Il réclamait le capital : elle était morte ! Les tribunaux ont conclu que le meurtre ne pouvait lui profiter. Cet interdit est resté.

L'assurance vie n'aura pas attendu ni les probabilités de Pascal, ni les tontines de Lorenzo Tonti pour exister, mais elles lui auront facilité le travail ensuite. Les tontines étaient condamnées comme illégales/amorales aux USA car elles s'apparentent à une forme de loterie, avant d'être rétablies.

On trouve dans le Royaume de France (Guidon de la Mer et Ordonnance de la Marine de Colbert) des garanties de rachats de rançons pour les voyageurs pris en captivité par les Turcs ou les Maures à l'occasion d'un pèlerinage : durée maximale 3 ans, avec un capital épuisable en un ou plusieurs rachats de rançons - une garantie d'assistance/rançons avant l'heure... qui sera détournée tard pour couvrir le trafic triangulaire et la Traite.

Les garanties d'assurances-vie renaîtront dans les pays du Nord de l'Europe à partir de la fin du 16ème siècle. Elles étaient alors assez largement diffusées dans le royaume anglais et aux Pays-Bas, voir la charte donnée par la Reine Anne à l'Amicable Society en 1706 et la création de l'Equitable qui utilisera pour ses activités anglaises les premières tables de mortalité datant de la fin du 17ème siècle, par Edmund Halley, fondées sur des statistiques allemandes... tout comme la France de la Restauration utilisera des tables de mortalité anglaises pour ses premières sociétés d'assurance-vie.

L'assurance vie anglaise mettra le pied en Europe dans les années 1830 via une compagnie hollandaise.

Au 19ème l'assurance vie restera risquée en Angleterre pour les assurés ayant souscrit un contrat. En cas de ruine, ils étaient parfois obligés de vendre leur contrat (la prise pour dettes était fréquente) et l'acquéreur n'avait pas toujours intérêt à leur survie, conduisant à de nombreux meurtres pour toucher le capital inscrit au contrat. Ce qui a poussé un assureur, Elizur Wright aux USA, à créer les mécanismes de rachat ou de mise en réduction, permettant ainsi à l'assuré de se sortir d'une mauvaise économique et de ne pas y laisser sa peau.

Aux Etats-Unis, l'abolition de la Traite met fin aux assurances maritimes sur l'esclavage mais fait démarrer l'époque de la souscription de contrats "d'assurances vies" sur les esclaves. Ce ne sont pas de réelles assurances sur la vie pour l'époque car l'esclave était considéré comme un bien - c'est un sujet de droit actuel aux USA. Ces contrats étaient plutôt souscrits par des "propriétaires" pour garantir des esclaves utilisés comme ouvriers qualifiés : mineurs, ouvriers du textile, des forges, cordonniers... Ils étaient très peu utilisés dans les plantations où les esclaves étaient considérés comme ayant une valeur faible. Ce type de contrat a existé car après l'abolition de la traite, le prix des esclaves a  augmenté. Ils furent aussi utilisés dans les derniers de temps de l'esclavage comme garanties pour des prêts en vue du rachat d'esclaves (cette utilisation est restée limitée au global). On possède un témoignage d'un esclave libéré qui a pu acheter la liberté de sa femme et de sa fille parce qu'il les assurées et a pu ensuite emprunter d'une banque. Ce type de contrat a existé dans les Antilles et au Brésil. Selon les découvertes faites aux USA, ces types de contrats restent pour autant limité mais ont participé à la croissance de de certaines compagnies, avant de s'arrêter brutalement. Les principes utilisés pour ces contrats sont les mêmes que ceux des contrats homme-clef, ce qui illustre la dualité intrinsèque de beaucoup de produits - pouvant être utilisés à la fois dans un sens jugé bénéfique ou dans un sens amoral/négatif selon l'intention d'utilisation.

L'une des conséquences durables de la ségrégation qui s'est ensuite installée à la fin du 19ème siècle aux USA a été de conclure, sur des arguments faux mais révélateurs des préjugés de la société de l'époque, qu'il état impossible de garantir les anciens esclaves. Cette règle discriminatoire a été un frein majeur du développement économique de la communauté afro-américaine jusque dans les années 1940. Elle n'a été levée que progressivement après la seconde guerre mondiale.

Les risques de prévoyance ont été fortement développés en Allemagne par les décisions de Bismarck sur les assurances sociales. En France, il y avait beaucoup de débats sur les bienfaits des systèmes de prévoyance (caisse d'épargne, contrats vie, responsabilité de l'employeur en cas d'accidents) mais avec un retard notable sur le modèle allemand.


De nos jours les garanties d'assurances sont sans cesse en développement pour davantage de protection. Nous n'en avons pas toujours le sentiment, mais en France nous disposons d'un des marchés les plus développés par son offre grand public et son volume. Un particulier d'un autre pays dispose rarement de couvertures aussi étendues. C'est à la fois le résultat du travail des assureurs mais aussi celui des pouvoirs publics (ex : garanties attentats, catastrophes naturelles, risques technologiques, assurances professionnelles obligatoires, assurances construction...).

 

Il reste à écrire les pages sur l'apport de l'assurance à l'économie globale au cours des âges. Elle a accompagné toute l'expansion européenne favorisant le développement de la puissance anglaise en conjonction avec la Révolution Industrielle du 18ème siècle, avec un impact gigantesque lorsqu'on examine les tarifs de l'époque comme révélateurs des échanges sous-jacents, mais c'est un secteur ignoré des manuels d'histoire.

Elle est aussi mêlée à ce que l'histoire européenne présente de plus contestable : la Traite. Cet aspect est davantage connu aux USA (1619 project ou travaux sur l'esclavage, sur les contrats d'assurance après l'abolition de la Traite) ou en Grande-Bretagne (histoire du Lloyd's). En France, la rupture de la Révolution et de l'Empire qui avaient rendues illégale l'assurance terrestre en a effacé beaucoup de traces (car on a confondu prohibition de cette forme d'assurance avec celle de l'assurance maritime qui n'a jamais été concernée par les décrets poussés par Cambon). Elle elle était moins importante aussi car les assureurs anglais avaient alors une forte prééminence et parce que le blocus continental avait réduit le trafic maritime français. les archives de Bordeaux conservent des traces de ces activités.


De cette époque extraordinaire de développement du 19ème siècle, il reste le témoignage des plaques d'assurances (L'Aigle, Le Midi, Le Nord, Le Monde...) sur les veilles façades de nos immeubles.

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