Histoire de l'assurance, l'antiquité et le moyen-âge - 1/4
L’assurance est une activité économique banale et courante, mais savez vous qu’elle est la résultante d’une histoire très longue et riche ? qui a suivi le développement économique du monde tel que nous le connaissons depuis l'Antiquité.
Dans l’Antiquité, l’assurance telle que nous la connaissons n’existait pas. On pratiquait à l’époque le prêt à la grosse aventure qui a subsisté jusqu’à l’époque moderne (En France, les contrats à la grosse étaient régis par les articles 311 à 331 du Code du commerce. Ils ont été abrogés par la loi n°69-8 du 3 janvier 1969. La mention du « prêt à grosse aventure » a été supprimé de l'article 1964 du Code civil qui régit les contrats aléatoires par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009) même si les premiers contrats d’assurance sont apparus par écrit sans doute au XIIIème siècle, la plus ancienne trace écrite conservée d'un contrat d'assurance datant de 1340 environ.
Les plus anciennes traces de prêt à la grosse aventure :
- Code d’Hammourabi : paragraphes de la stèle énonçant des principes de compensation suite à des pertes liées à des activités commerciales et/ou de transport (articles 100 à 105). Des textes antérieurs de cette région évoquent des principes similaires avec une mutualisation des risques entre marchands et seigneurs locaux qui devaient assurer la paix et lutte contre le brigandage.
- Texte du Contre Lacritos de Démosthène (vers -340) : description complète du contrat à la grosse aventure, ce n'est pas encore de l'assurance. Ce prêt est envisagé comme une garantie contre le risque de naufrage : un marchand qui aurait financé lui-même l'ensemble du voyage perdrait à la fois le navire et sa cargaison. Le prêt à la grosse aventure permet de faire supporter à un tiers, le prêteur, le risque sur la valeur de la marchandise et les intérêts du prêt. Dans cas l'emprunteur ne rembourse rien. Les taux d'intérêts pour le prêt maritime sont très élevés (20% à 100%). Ce type de prêt semble exister depuis alors plus d'un millénaire au Proche-Orient, pour des transports terrestres, avec des taux d'intérêts moins élevés.
- Code maritime de Rhodes : les habitants de Rhodes inventent la mutualisation, régime d'avarie commune. Les marchands dont les biens arrivent à destination remboursent ceux dont les biens ont été détruits lors d'une tempête. Le code évoque aussi le prêt à la grosse et précise les conditions du contrat maritime dont il rappelle que pour être valide, il doit être écrit - sage précaution montre que l'expérience sinistre existait déjà. Ce texte nous a été transmis par l'empire byzantin où ils était appliqué. A noter que les croisades ont généré leurs propres textes de droit maritime et que le monde musulman avait son propre code de navigation.
Le Code d'Hammourabi mentionne aussi la responsabilité des architectes et médecins de l'époque, avec des sanctions pénales fortes pour les "accidents" : décès, effondrements... mais point d'assurance décennale ou de responsabilité professionnelle - n'allons pas pas trop vite. Rappelons quand même que les premiers contrats de RC professionnelle vendus en France seront des contrats pour les pharmaciens, suivis peu après des contrats de RC des architectes (fin 19ème siècle/début 20ème siècle). Ce qui traduit une certaine constance dans les comportements humains.
Le contrat de grosse aventure défini par le code d'Hammourabi est terrestre (voyages par caravane). Il semble avoir été repris par les Phéniciens - qui sont bien plus tardifs - en tant que contrat maritime et par les Indiens en tant que contrat maritime et terrestre. Des textes religieux indiens avaient développé les principes de secours mutuels via une contribution généralisée imposée à la population. Les chinois avaient des systèmes de mutualisation sur les caravanes commerciales dès l'Antiquité.
Le contrat de grosse aventure a été utilisé par les Romains ("foenus nauticus"), les Byzantins (empire romain d'orient) et les européens de manière préférentielle à d'autres dispositifs financiers jusqu'au milieu du moyen-âge, tant en Méditerranée qu'en Mer du Nord et Mer Baltique (ligue Hanséatique). Nous avons des traces de tarifs depuis Rome et la Grèce.
En parallèle à ces contrats de grosse aventure, les romains ont créé des sociétés religieuses devenues sociétés funéraires (chargées des obsèques) dans lesquelles les adhérents versaient une cotisation d'entrée et une cotisation périodique. En échange, ils obtenaient une prestation d'organisation de leurs obsèques. Ces sociétés semblent avoir été progressivement au-delà de ce but et avoir donné des garanties d'assurance-vie (notamment par le biais d'une proscription d'une appartenance à plus d'une société et à l'emploi de fonds pour des raisons autres que des obsèques, via des témoignages indirects de procès). Il y avait trois catégories de sociétés : civiles, militaires et pour les vétérans (ex-militaires retournés à la vie civile après 20 ans environ de service), avec des objets et procédures différents. Les romains disposaient aussi d'une table d'annuités pour le versement des rentes appelée table d'Ulpien.
Au-delà de ces sociétés funéraires, l'Etat romain (République ou Empire) a accordé à plusieurs reprises des garanties sur les navires et leur chargement (attesté historiquement). Il semble y avoir eu aussi des garanties de type assurance à titre privé sur du transport, les témoignages sont indirects. Le système n'a pas survécu semble-t-il à la chute de l'Empire d'Occident. Des textes juridiques byzantins (Empire d'Orient) délimitent à plusieurs reprises le prêt à la grosse avec réglementation des tarifs publiés par les empereurs.
Au Haut Moyen-Âge, des "guildes" se sont créées en Flandres (ancienne Menpisque, Flandres) et certains territoires allemands pour donner des garanties collectives à leurs membres appartenant à une même communauté : garanties en cas d'incendie et dans d'autres situations telles que la vie. Au départ les cotisations étaient par membre puis elles ont évolué en incendie pour tenir compte de la valeur des biens par un système de proportionnalité.
Un exemple assez exceptionnel au Moyen-âge a été le développement de l'implantation des moulins à eau qui a aboutit à la création en 1194 d'un système local d'assurance mutuelle contre les risques de destruction par inondation de moulins indépendants (Honor del molis del Castel Narbonens), mécanisme expliqué par un article de l'université de Yale au sujet du Moulin de Bazacles, plus ancienne société par action connue.
Les descriptions disponibles indiquent un système mutualiste assez proche du dispositif initial du plus ancien assureur incendie connu avec une acitivé toujours existante, la Feuer Kasse Hambourg créée en 1591 et profondément réformée au 17ème siècle ( la plus ancienne caisse incendie allemande aurait été créée en 1537 et n'a pas survécu). Les premières sociétés incendie connues hors ces guildes sont allemandes. Des suzerains locaux de l'Empire accordaient des garanties similaires à de l'assurance pour couvrir les pertes accidentelles des marchands participant à des foires ou traversant leurs territoires.
En 1236, une bulle du pape Grégoire IX "Naviganti vel eunti ad nundinas" condamne le prêt à la grosse comme usuraire. Il sera remplacé par des ventes à terme et le contrat d'assurance qui n'utilisent pas de manière apparente la notion d'intérêt et ne violent pas stricto sensu l'interdit religieux même si l'activité financière est considérée avec dédain par de nombreux contemporains. Les activités financières de protection du transport maritime sont tellement importantes pour les marchands et princes qu'il a fallu trouver une solution à cette bulle. Peut-être l'assurance maritime existait-elle déjà car elle semble surgir très rapidement vers cette époque sous des formes écrites devant notaire ou similaire, ce qui suppose une utilisation régulière l'assurance pour élaborer ce dispositif - A noter que l'assurance dite "au noir" a existé jusqu'à l'Empire (Napoléon). Il s'agit de la pratique de contrats d'assurances oraux, sans traces écrites, utilisée soit en période de prohibition (Révolution/Empire) ou pour des trafics illégaux ou dans les premières périodes.
Déjà les techniques financières sont très développées vers 1200/1300 (voir le contrat Zaccaria). Ce démarrage de l'assurance a du être aidé par le fait que vendre des garanties d'assurances entre commerçants est une utilisation plus efficace du capital disponible pour les opérations de négoce que le prêt à la grosse aventure : un commerçant qui donne une garantie d'assurance conserve son capital qu'il peut utiliser soit pour donner d'autres garanties d'assurances, soit pour faire ses propres opérations commerciales. Ce système fonctionne à son avantage car il n'a pas à bloquer ses capitaux comme doivent le faire les compagnies d'assurances modernes et absence de taxes. La contrepartie c'est qu'il n'est protégé du risque de ruine mais les commerçants de l'époque étaient confrontés sans cesse à ce risque et le jugeaient naturel mais savaient s'en protéger selon Cleirac qui mentionne des garanties d'insolvabilité de l'assureur (une hypothèse possible mais non vérifiée historiquement serait que les marchands aient simultanément réalisé des prêts à la grosse et des paris sur la réalisation de l'opération. Hypothèse raisonnable vue que la gageure était indiscernable de l'assurance jusqu'au Lloyd's et aux problèmes économiques qui en ont résulté : paiement multiples du sinistre aux parieurs et à l'assuré, ce qui a poussé à la définition de l'intérêt assurable. Rappelons que la loterie est l'une des plus anciennes activités économiques, la Loterie Nationale française trouve son origine sous François Ier.
A la même époque, l'Europe voit surgir des règles de droit maritime : Rôles d'Oléron (vers 1250), code de Wisbuy, droit hanséatique, régissant les responsabilités des parties dans le cas des transports maritimes, dans le cas des fortunes de mer, barateries et avaries. Les rôles d'Oléron sont toujours incorporés en tant que références légales dans les droits anglais et US.
Les premiers contrats d'assurance sous forme écrite apparaissent, dans l'Italie actuelle, sans doute à la fin du 13ème siècle (première trace écrite en 1347). Gênes est alors un centre très important pour l'assurance et l'une des places les plus actives dans ce domaine, avec la création des premières sociétés d'assurance. Les contrats sont passés devant notaire ou devant un greffier des assurances. L'organisation de l'assurance en Méditerranée sera régie par les Consulats de la Mer (première version en 1435 - Barcelone) puis l'ordonnance de la Marine de Colbert - 1681. Une chambre des assurances apparait à Bruges au 14ème siècle, elle est attestée indirectement par des procès et litiges sur les règlements car statuts initiaux perdus. Le trafic était intense entre les principautés italiennes, le royaume de France (Foires de Champagne) et l'actuel Bénélux (comté de Flandres). Les portugais utilisaient les contrats d'assurances au 14/15ème siècle, on a des traces de tarifs notamment pour des échanges avec l'Angleterre d'alors alors que les anglais n'étaient pas assurés ou devaient faire appel à des financiers étrangers : le haut commerce anglais était alors entre les mains de commerçant italiens d'où Lombard Street dans la City.
Le Moyen-Age ne faisait pas de différence entre l'assurance et la gageure ou pari. Ce n'est que bien plus tard que ces deux contrats se sont distingués. Un contrat d'assurance sous-entend une notion d'intérêt assurable pour celui qui le souscrit ; la gageure est un simple pari pouvant être pris par n'importe qui, même sans avoir aucun intérêt dans la chose assurée ou en jeu. la gageure sera finalement séparée de l'assurance au 17/18ème siècle lorsque les sinistres étaient payés plusieurs fois à londres et que les assureurs n'y trouvaient plus leur compte.
L'existence d'une possibilité de s'assurer semble être un élément déterminant pour l'expansion des opérations de commerce. Une façon de mettre fin à des liens de commerce est de proscrire l'opération d'assurance (méthode attestée en Angleterre ou dans d'autres régions).
A cette époque, il était légal jusque vers 1570, de trouver des garanties d'assurance-vie dans les territoires flamands. On y pratiquait à la fois l'assurance-vie et la gageure sur la vie - cette dernière a été interdite pour les contrats portant sur les enfants - qui avait un nom différent. La Couronne espagnole a pris plusieurs décisions vers 1570 en vue d'interdire cette pratique dans ses territoires du Nord de l'Europe (effet religieux de type contre-réforme ou moral, ou considérations économiques ?). Le plus vieux contrat d’assurance-vie anglais dont on ait trace date de 1583, les plus anciens connus étant italiens (Gênes) et datent de 1427 et 1428 (voir notre article).
L'ordonnance de Colbert a eu une place prééminente dans l'assurance maritime jusqu'au 20ème siècle et a servi de référence dans de nombreux pays dont les Etats-Unis, droit anglais. Elle est dérivée d'un ouvrage écrit par Cleirac - auteur français vivant à Bordeaux. Cette ordonnance de Colbert a fait du Royaume de France une superpuissance régulatrice de l'activité d'assurances malgré son relativement faible poids économique. Elle était considérée comme un texte modèle par de très nombreuses nations.
L'assurance étant considérée comme une branche du transport maritime, les litiges sont jugés devant des tribunaux maritimes (en Royaume de France : tribunaux de l'Amirauté, avec es archives conservées devant des cours de Parlement). Ils suscitent la convoitise des juges consulaires de commerce qui veulent les connaître : à l'époque, les juges étaient rémunérés sur la valeur des litiges portés à leur connaissance (un texte d'un juge consulaire de Bourges explique ces conflits de juridiction et l'intérêt du juge à les connaître pour l'expansion de son patrimoine et la prospérité de sa cour consulaire).
L'apparition des contrats écrits dès le 13/14ème siècle laisse supposer que l'assurance devait être pratiquée couramment et que les diverses parties avaient compris que seul l'écrit préalable pouvait éviter bien des querelles lors du sinistre.
Ces premiers contrats sont établis entre des marchands d'un même port. Ils prévoient une garantie sur un navire ou sa cargaison, pour un transport donné. Ils créent une mutualisation des risques et de l'activité économique du port entre les marchands, même avec ceux qui ne sont pas directement intéressés au transport à garantir. Tout un environnement est créé avec des greffiers, des courtiers, des agents souscripteurs, des assureurs ainsi que des règles et usages, sur la forme du contrat, sa passation, sa tarification...
Ces contrats étaient accordés par des marchands qui prenaient chacun à titre personnel une part d’un contrat d’assurances. Cet usage persiste de nos jours chez les P & I, assureurs maritimes qui accordent des garanties personnelles au sein de pools de souscription. Le Lloyd's fonctionnait de manière similaire jusque dans les années 1990.
Jusqu'au 18ème siècle, l’assurance ne faisait pas la différence entre l’assurance au sens moderne et le pari (gageure en français, wager en anglais). Le traité de Pothier parle de contrats aléatoires, regroupant les deux formes.
C’est au Moyen-Âge que l’on a créé la clause « d’assurance pour le compte de qui il appartiendra » qui permettait à la fois de garantir des marchandises changeant de propriétaires en cours de route mais permettait aussi de tourner des embargos décidés par ou tel prince en cachant le nom du propriétaire qui pouvait relever d'un prince ennemi.
Selon les auteurs anciens, on trouve plusieurs contrats d'assurance au Moyen-Âge dans le domaine maritime :
- le contrat d'assurance sur la marchandise ou le navire.
- le contrat de réassurance souscrit par le marchand voulant se protéger de pertes excessives sur ses activités d'assurances.
- le contrat d'assurance contre la faillite de l'assureur.
- un système complémentaire d'assurance appelé prime de la prime, qui revient à une forme d'assurance de risque de guerre ou de risque aggravé. Dans certains cas, le risque était très élevé, la cotisation d'assurance pouvait rejoindre la valeur des marchandises en risque - tout en restant légèrement inférieure. Si on perdait la marchandise, l'indemnisation réelle était faible du fait du montant de la cotisation payée. On assurait donc cette cotisation contre le risque de perte lié au naufrage du bateau. Par récurrence sur cette assurance de la cotisation, on pouvait payer plusieurs fois la cotisation initiale. Si ce système a pu être imaginé, c'est parce que les profits d'un contrat de transport étaient encore bien supérieurs à ces coûts d'assurance.
- des contrats financiers sont attestés au Portugal - gestion de droits divers
Il existe dès cette période des traces de contrats sur les profits des navires (sorte de pertes d'exploitation), sur les personnes (garanties vies sur des équipages), mais très vite suivis de prohibition dans de nombreux pays car les contraintes sociales de l'époque ne mettaient pas de frein efficace à la création d'un sinistre en vue d'un enrichissement (meurtres, naufrages commandités par l'assuré).
Les articles de cette série :
- Histoire de l'Assurance : Antiquité et Moyen-âge
- Histoire de l'Assurance : de la Renaissance à l'Empire
- Histoire de l'Assurance : Restauration à nos jours
- Histoire de l'Assurance : ressources bibliographiques
- Histoire de l'Assurance : les débuts de l'assurance-vie
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